Kamchatka

Et c’est reparti, nous revoilà dans l’avion ! Pour- tant avec Lois et Vincent on s’était juré d’arrêter de partir à l’autre bout du monde pour faire... du camping ! Soyons honnêtes, aucune raison rationnelle ne justifie le fait que nous partions au Kamchatka pour skier. Encore moins rationnel, un aller-retour Genève-Petropavlovsk, quatorze heures de vol pour 790 CHF.

Pourtant notre curiosité et notre soif d’aventure ont repris le dessus sur notre petite voix d’écolo bobo qui trotte parfois dans notre tête. Du sau- vage ! Se perdre dans l’immensité, être seul livré à soi-même : une sensation qui est devenue impossible à ressentir dans la densité humaine de nos Alpes.

Le nez collé au hublot, nous découvrons la péninsule et ses volcans couverts de neige. Un paysage aérien figé dans la glace qui ne laisse pas indifférent, comme les dizaines de MIG parqués sur le tarmac.

Le Kamchatka était interdit aux visiteurs (russes et étrangers) jusqu’en 1992. Guerre froide oblige. Petropavlovsk est encore une des bases principales de l’armée russe sur le Pacifique. C’est d’ailleurs l’armée qui peuple en partie les vieilles barres d’immeubles soviétiques. Le reste de la population (environ 300 000 pour toute la péninsule) travaille dans la pêche et récemment dans le tourisme.

C’est à travers la Kamchatka Freeride Community (KFC), un collectif-agence de voyage que nous découvrons la péninsule. Trouvée par hasard sur internet lorsque nous cherchions un logement à notre arrivée, nous sommes tombés amoureux de leur auberge Bay House. Une au- berge remplie de Russes qui nous rassure à notre arrivée en nous offrant du crabe servi au whisky.

Depuis plusieurs années le Kamtchatka est de- venu une destination prisée des touristes occidentaux qui aiment se faire lever par un éléphant volant et déposer sur de belles pentes à godilles. La grande taille des hélicoptères nécessite de les remplir, ce n’est ainsi pas moins de douze skieurs que l’équipage et leurs guides emmènent à chaque dépose. Les touristes re- stent souvent sur leur base et n’ont finalement qu’un contact limité avec les charmes de Petropavlovsk.

Si on nous avait offert 30 000 mètres de dénivelé pour aller héliskier les volcans du Kamchatka, on n’aurait sûrement pas rechigné à la tâche... Mais nous avons préféré investir notre argent dans du saumon fumé et une tente de camping. Va savoir pourquoi.

Coupés du monde, les interactions sociales sont faci- litées. C’est peut-être le plus gros avantage de ce genre d’aventure.
— Arnaud Cottet

Le soir même de notre arrivée, nous faisons part de nos intentions à l’équipe de KFC. Nous avions trouvé sur Google Earth des couloirs intéressants à skier au centre de la péninsule. Nous dé- chantons rapidement lorsqu’on nous présente les différentes solutions pour s’y rendre. L’hélicoptère est hors de prix, et les motoneiges nécessitent des heures de route, avec probable- ment des passages de rivières problématiques vu le peu de neige qu’a reçu le Kamchatka cette année. C’est alors que Nikita, un guide de montagne russe, et Alexis, le co-fondateur du collectif nous proposent de nous embarquer avec eux en direction d’un autre massif montagneux. Les dénivelés semblent moins longs, mais la logistique tellement plus facile.

Ni une ni deux nous téléchargeons l’application Uber locale et embarquons pour le centre-ville de Petropavlovsk. Mission : faire les provisions pour une semaine, sans oublier de passer s’ache- ter deux trois accessoires chasse et pêche, mais surtout vider les stocks de saumon fumé et de crabe du marché local.

Le lendemain matin nous partons de bonne heure avec un groupe de touristes russes. Corde attachée, derrière les motoneiges nous slalomons entre les arbres durant plusieurs heures avant d’arriver enfin vers des montagnes qui se profilent au loin.

Arnaud Cottet by Loïs Robatel

Arnaud Cottet by Loïs Robatel

Des montagnes relativement innocentes nous entourent. Nous décidons de monter notre camp proche du groupe de KFC. Un camp de base version luxe avec même une tente pour sécher les affaires. En fin de journée nous partons en dessus de notre camp sur l’une des montagnes les plus proches. Les conditions sont parfaites pour le parapente que nous avons emmené avec nous. C’est le genre de fenêtre météo qu’il faut saisir. Ce petit vol nous permet de recon- naître quelques couloirs au loin qui pourraient bien nous intéresser les jours suivants.

Nous avions seulement omis un détail important : une météo qui se dégrade. La neige puis le vent nous contraignent à rester deux jours dans nos tentes. Nous effectuons quelques petites sorties dans le blizzard russe, juste de quoi s’occuper. Ce qui nous occupera durant cette première semaine se passe surtout dans la tente cuisine de nos amis russes. Coupés du monde, les interactions sociales sont facilitées. C’est peut-être le plus gros avantage de ce genre d’aventure.

Malgré une météo et des conditions de neige compliquées nous parvenons à skier quelques couloirs. Soyons honnêtes, rien de comparable à ce que l’on peut trouver dans les Alpes en termes de skiabilité, mais le paysage et l’ambiance qui règnent autour de nous compensent les dénivelés relativement courts et une neige soufflée.

Nous repartons à la fin de la semaine direction Petropavlovsk. La deuxième semaine était celle de tous les espoirs. En effet, on nous avait parlé d’une base soviétique secrète nichée au fond d’un fjord, où nous pourrions peut-être nous rendre. L’excitation de visiter cette base fermée

après l’implosion du régime soviétique nous éloignait d’un certain bon sens. La base est à plu- sieurs jours de navigation ou plusieurs heures d’hélicoptère. Le budget explose, et les autorisations à obtenir pour une telle visite demandent plus d’organisation qu’à notre habitude.

À notre retour à la Bay house, nous parlons à nouveau à Alexis de KFC. Dépité par l’impossibilité d’aller skier autour de cette base navale, Alexis nous propose une alternative.

Le lendemain, ils vont mettre à l’eau leur catamaran pour amener un groupe à la Russkaya Bay. Un fjord à une journée de navigation de Petropavlovsk. Le catamaran est malheureuse- ment plein, et vu les nombreux contrôles de la police maritime russe dans la baie, le nombre de places est limité à bord. Il nous propose donc de payer un ami à lui afin qu’il nous amène au large avec son bateau pour éviter un éventuel contrôle. Et ainsi de monter sur le catamaran au large, ni vu ni connu.

Comme prévu nous embarquons sur un beau voilier d’un ami de Alexis qui nous amène au point de rendez-vous pour le transfert sur le catamaran. La police maritime ne nous a pas contrôlés. Au moment du transfert, tout le monde court sur le pont pour faire des photos : non pas de baleines ou de lions de mer, mais bien d’un sous-marin nucléaire qui sort de l’eau à quelques encablures de nos bateaux. L’ambiance est très ... guerre froide.

Nous arrivons finalement dans le fjord de Russkaya Bay. Le catamaran de KFC nous dé- pose sur un vieux bateau coulé à l’occasion pour qu’il serve de ponton d’amarrage. Nous marchons quelques centaines de mètres pour atteindre un village de pêcheurs abandonné. Des vieilles bicoques qui ont dû subir plusieurs tsunamis chacune, rafistolées avec de la mousse expansive, peinent à se tenir debout. Nous décidons de monter notre petit camp de base derrière le village au bord d’une rivière.

Après en avoir fait l’expérience la première semaine dans nos petites tentes, nous sommes passés au magasin de camping acheter une grande tente pour nous servir de cuisine. Nous pressentions que cette tente allait en effet être notre lieu de salut. Avec les meubles récupérés dans les bicoques à cœur ouvert, nous installons notre petite cuisine-salle à manger.

L’endroit est hors du temps, et le paysage est magnifique. Nous partons le lendemain matin pour explorer le périmètre. À nouveau la météo se dégrade. Le vent fait place à de jolies chutes de neige pour le troisième jour. Au matin du quatrième jour, nous nous réveillons avec une vingtaine de centimètres de neige fraîche. Le pay- sage est magnifique. Nous partons aussitôt en direction d’un sommet qui surplombe le fjord.

À peine arrivés sur la crête de la montagne, le vent se remet à souffler. Mais cette fois pour de bon. Les vingt centimètres de neige font place à une jolie couche de neige glacée. Nous titubons péniblement jusqu’au sommet. Les conditions de neige sont trop dangereuses pour skier le couloir prévu en dessus du fjord. Dépités, nous redescendons par là où nous nous sommes montés. Un petit virage sur la face qui surplombe le fjord nous confirme que c’était la bonne décision. Une plaque se détache pour déclencher une grosse avalanche en contrebas qui finit dans les eaux du Pacifique. Magnifique spectacle.

 
C’est donc reparti pour une nouvelle aventure. Rebelote le marché de pois- sons et les courses, nous sommes prêts pour partir à la plage.
C’est donc reparti pour une nouvelle aventure. Rebelote le marché de pois- sons et les courses, nous sommes prêts pour partir à la plage.

Le septième jour nous avons enfin une météo qui nous sourit, l’occasion de skier ce couloir. Nous démontons le camp rapidement. À dix-huit heures notre taxi aérien vient nous chercher. L’hélicoptère nous ramène à la civilisation au coucher de soleil. La fin d’une belle aventure.

La dernière semaine se limitera à une expédition en motoneige sur les flancs du Volcan Vilioutchik. Des conditions de neige glacée, du vent et des kilomètres de montée sans fin sont notre quotidien.

On se régale des paysages et des sources d’eaux chaudes du lodge où on loge. Le dernier jour nous décidons tout de même d’effectuer le sommet, malgré le vent et les mauvaises conditions d’enneigement. Cerise sur le gâteau, à notre arrivée au sommet, nous nous retrouvons nez à nez avec un ours mal réveillé de sa longue hibernation. Nos regards se croisent pendant quelques secondes, puis il disparait de l’autre côté du volcan pour aller rejoindre le printemps. Pendant quelques secondes le temps s’arrête. Tous les trois sommes sans voix. Une rafale plus tard nous voilà à nouveau couchés sur le volcan pour gravir les derniers mètres du sommet. Le genre de rencontre qu’on n’oublie pas.

Ruedi Flück