Quand le style n'est pas un hasard - Isaac Simhon

Isaac à Saas Fee, été 2019, Photo: Ruedi Flück

Isaac à Saas Fee, été 2019, Photo: Ruedi Flück

On le sait, le ski n’est pas le sport le plus accessible. Au commencement, il y a deux ingrédients incontournables à la confection d’un bon petit skieur : la proximité relative avec les montagnes et des parents qui ne rechignent pas à mettre la main au porte-monnaie. Des stars du backcountry aux légendes des parks, en passant par la nouvelle génération de machines à triple cork, on peut dégager une constante : les situations familiales et économiques se ressemblent, sont stables et permettent aux jeunes poulains de s’épanouir sans trop se soucier de la facture de tout ce manège.

Mais qui dit règle dit exception, toutes les histoires de prodiges du ski ne sont pas si simples. Isaac Simhon, champion suisse de big-air en 2018 et bête de foire pour tous les amateurs de style, est loin de correspondre à l’archétype du jeune skieur prometteur encadré tant par Swiss Ski que par ses parents. Du haut de ses 19 printemps, son parcours mêle réussite précoce puis déception, déscolarisation et années de débrouille, pour ensuite revenir en force en réalisant les deux meilleures saisons de sa vie récemment. Des expériences de vie atypiques qui vont forger une attitude et une personnalité peu comparables à celles de ses contemporains. Avec sa dégaine inimitable et des afterbangs à faire pâlir les maîtres en la matière, Isaac aime qu’on le surnomme EZ et a du style à revendre. Force est de constater que ce steez n’est pas le fruit du hasard, Knuckle Magazine vous propose le portait d’un petit gars qui s’est construit hors des sentiers battus.

 
 
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Un détour par Genève, un œil sur le skatepark de Plainpalais, il ne faut pas chercher midi à quatorze heure pour trouver notre spécimen. Tout sourire, avec sa longue tignasse noire qui flotte au gré du vent, Isaac sort du bowl. Quelques jours auparavant, il faisait sensation à Saas-Fee aux côtés d’Henrik Harlaut et de sa clique. La cerise sur le gâteau d’une saison fructueuse : montée en puissance sur Instagram, percée sur la scène internationale et shooting à Andorre en avril chez Harlaut. Tout avait pourtant mal débuté. Isaac, fraîchement couronné du titre de champion suisse de big-air au printemps 2018, entamait l’hiver avec de sérieux objectifs en compétition. Mais manque d’entraînement et de confiance, les résultats ne sont pas au rendez-vous. « Je pensais que ma saison était morte, j’étais dégouté. Je ne pouvais pas blairer l’ambiance qu’il y avait dans les compétitions, c’était la mauvaise vibe avec les mauvaises personnes » explique-t-il.

Il faut un savant mélange de conditions pour qu’Isaac puisse exprimer le meilleur de son ski : des copains et aucune pression. Une alchimie qui s’est avérée payante pour le genevois, mais qui n’a pas toujours été de mise. Avec un père windsurfeur professionnel, Isaac a été élevé dans l’idée qu’il fallait gravir les marches du podium. Accompagné, soutenu et poussé par son père et ses coachs, il rafle toutes les médailles dans ses jeunes années. Mais la pression le fait craquer et le plaisir l’abandonne. Il quitte le club de la Clusaz dans lequel il évoluait. À l’école, son directeur le retire de la structure sport-étude puis le déscolarise. « À cette période mon père n’allait pas bien et il n’était pas en mesure de me venir en aide. Il partait souvent faire de la voile. Sans lui et sans école, j’étais livré à moi-même », raconte-t-il. Mis sur le banc de touche, seul à Genève dans l’appartement de son père, les temps sont gris pour Isaac.

Conneries et sorties nocturnes s’enchaînent, les journées de ski deviennent rares. « J’allais juste à quelques entraînements avec la Swiss Freeski. Je me souviens d’une semaine à Saas-Fee où je me forçais à faire des doubles. Je m’étalais à chaque fois sur la glace », relate-t-il. La clavicule et le cerveau en compote, Isaac est à bout de nerf. Il claque la porte et investit ses dernières économies dans le billet retour, direction Genève. Alors qu’il a 16 ans, Isaac erre dans les boulevards, passe certaines de ses nuits dehors ou dans des halls d’immeuble. Tout semble aller pour le pire.

 
 

Il aura fallu un élément déclencheur, une sonnette d’alarme pour qu’Isaac s’extirpe de cette mauvaise passe. « En 2017,  j’ai bossé tout l’été à rouler avec des vélos électriques publicitaires. Je n’ai jamais vu la couleur de mon salaire. Je me suis dit que je ne tafferai plus jamais de ma vie ! », s’exclame-t-il, rancunier. Sa ferveur du ski, timide durant cette période, va revenir au galop. La saison suivante sera celle de la renaissance. Sans un sous mais excellant dans l’art de la débrouillardise, Isaac passera tout l’hiver à Flims dans une chambre au confort sommaire, qu’il partagera avec son acolyte Julius. Et lorsqu’il s’agit de limiter les frais au strict minimum, toutes les ruses sont bonnes, notamment quand les caissières du Volg manquent de vigilance. Pas de compétition, donc pas de pression, le plaisir sur les lattes signe son grand retour.

« Après ces années merdiques, j’ai compris que si rien n’allait dans ma vie, c’était impossible que je sois bien sur mes skis », confie Isaac. Avec le recul, il perçoit ces expériences difficiles plus comme une partie de son identité que comme un fardeau. « Je pense vraiment que ces moments à galérer ont construit mon mental. Et le style et la manière de skier, ça vient clairement tout de la tête », rajoute-t-il. Spontanément, quand Isaac s’est émancipé du carcan compétitif qui le contraignait, il a recommencé à porter du baggy et s’est laissé emmener vers une attitude sur les skis qui reflétait davantage son état d’esprit. C’est trash, ça pète tout, ça a de la gueule. Logique qu’avec une adolescence aussi transgressive, Isaac soit aux antipodes d’un style fade, conventionnel et sans fioriture qu’ont certains gamins de son âge.

Style matters, mais ce dernier boude parfois les compétitions internationales, n’en déplaise aux puristes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Isaac n’a pas renoncé aux compétitions. Il lui faudra encore de l’entraînement pour rattraper la cadence de ses rivaux, mais EZ n’a pas peur de mettre les bouchées double pour y parvenir et y ajouter son grain de sel. Au fond de lui, la fibre compétitive continue de le faire vibrer. Il aime se mesurer aux autres et à lui-même. « Je suis vraiment mauvais perdant. Je me satisfais seulement lorsque j’ai tout donné et que je suis le meilleur », ajoute Isaac.

Une rage de vaincre, mais surtout une rage du ski. Là où beaucoup auraient lâché prise, Isaac s’est obstiné et a persévéré. Il veut tout faire, tout voir et tout bouffer la saison prochaine. À la carte, filmer avec Buldoz Life - crew romand qu’on ne présente plus aux adeptes d’Instagram -, pousser son ski autant en park qu’en poudre et saisir toutes les opportunités qui se présenteront à lui pour voyager. Isaac s’est fait un nom et tout porte à croire qu’on puisse l’apercevoir aux côtés d’Henrik Harlaut dans différents shootings cet hiver. Le genevois a la ferme intention de poursuivre son ascension, comme s’il se devait de rattraper le temps perdu de ses saisons grises. Et même si Isaac donne l’impression d’avoir déjà vécu deux vies à seulement 19 ans, lorsqu’il s’apprête à croquer dans la pomme à pleines dents, on s’abstiendra de lui dire take it easy, préférant un : take it, EZ !

Text par Maé Biedermann

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Ruedi Flück